Lutte contre les discriminations aux USA: de l’Etat fédéral aux acteurs de terrain

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Avec les dirigeants de la Commission des droits civiques du Maryland

Suite du programme des visiteurs internationaux jeudi et vendredi. A l’ordre du jour, des rencontres avec des acteurs engagés contre les discriminations, que ce soit au niveau de la Ville de Baltimore, de l’Etat du Maryland, du gouvernement fédéral comme des associations de défense des minorités (« advocacy ») et même des acteurs du culte. Aux Etats-Unis, tous les acteurs, publics comme privés, sont mobilisés contre les discriminations, et disposent de véritables moyens pour assurer cette mission.

Baltimore, capitale de l’Etat du Maryland, est une ville de 630 000 habitants, qui cumule les difficultés, avec un quart des habitants sous le seuil de pauvreté, un taux de chômage plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale (34% pour les jeunes), et une criminalité trois fois supérieure. Cette ville a été le siège d’importantes émeutes en 2015.  Nous avons été reçus en mairie par Catalina Rodriguez, directrice du Bureau pour l’immigration et les affaires multicuturelles, qui développe une politique transversale de soutien aux migrants et aux réfugiés, qu’ils soient en situation légale ou non. La municipalité a positionné depuis quelques années la ville comme une cité accueillante pour les migrants, afin d’enrayer la diminution de sa population et son déclin économique.

De nombreuses actions sont menées, accompagnées d’une communication « inclusive ». Ce qui a particulièrement retenu notre attention, c’est l’intégration au travers du développement économique. En effet, une agence municipale accorde des micro-crédits, de 5 000 à 50 000 dollars, aux migrants mais également aux populations noires qui n’ont pas accès au crédit, et ce afin de développer une activité économique. Cette agence emprunte elle-même auprès de banques, qui ne prêteraient pas directement aux migrants. Ce qui est remarquable, c’est que le micro-crédit est octroyé quelle que soit la situation du migrant, régulière ou non. La ville elle-même adopte ainsi une position extrêmement militante contre les lois fédérales d’expulsions des étrangers en situation irrégulière. D’autres thèmes sont également traités par ce bureau comme le développement du dialogue entre la police et les citoyens, et la promotion de l’égalité et du vivre-ensemble.

Nous avons ensuite été reçus par les responsables de la Commission pour les droits civiques du Maryland. Cette commission est composée de 9 membres nommés par le Gouverneur de l’Etat, et comporte une administration propre. Elle recueille les plaintes en matière de logement, de transport, ou encore d’emploi, et a pour mission d’organiser une conciliation. En cas d’échec, elle peut saisir le justice de l’Etat du Maryland, voire exceptionnellement la Cour Suprême de l’Etat fédéral. La principale source de tension réside dans la ségrégation de populations noires qui sont ghettoïsées dans certains quartiers à Baltimore. Or le logement détermine les possibilités d’emploi, notamment via la qualité des transports pour s’y rendre. La Commission traite également des questions de genre, de religion, d’handicap et d’orientation sexuelle. Nous avons interrogé son directeur sur l’impact de la dépénalisation du Cannabis en vigueur dans l’Etat. Pour lui, c’est le dernier des problèmes rencontrés, et ça n’a eu que très peu d’impact sur la criminalité.

Le lendemain, nous sommes retournés à Washington pour la dernière journée sur place avant de partir pour l’Alabama. Le premier rendez-vous de la journée était assez surprenant. Il s’agit d’une association, un « advocacy » pour les américains, c’est à dire une forme de lobby mais qui ne représente pas des intérêt économiques, et qui en l’occurrence défend la Séparation des Eglises et de l’Etat. Nous pensions tomber sur des radicaux de la laïcité comme ceux que nous avons parfois en France. Mais pas du tout : il s’agit d’acteurs du culte ! Des acteurs très attachés au principe de séparation, qui fait partie de l’ADN de la société américaine. Car pour eux, la Séparation est la garantie du pluralisme et de la liberté religieuse.

Cet « advocacy » a été crée en 1947 suite à la décision de la Cour Suprême d’autoriser le financement de l’école privée religieuse, qui représente 10% du système scolaire. Dans leur combat, ils utilisent le 1er amendement qui dispose que « Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice ». Datant de 1791, ce texte est la base non seulement de la liberté religieuse, qui est totale aux Etats-Unis, mais également du principe de Séparation, bien avant notre loi de 1905. Une séparation dans les deux sens, avec notamment la neutralité et l’absence de discriminations de la part des autorités : c’est la raison pour laquelle ils ont attaqué le « muslim ban » de Trump.

La journée s’est poursuivie avec le Bureau fédéral pour l’égalité des droits dans l’emploi. Il s’agit d’une agence fédérale qui emploie 2200 personnes et dispose de 53 bureaux dans toute l’union. Des bureaux équivalents existent dans le domaine du logement, de l’espace public, des transports etc. Ce bureau dispose d’un véritable pouvoir d’enquête et de citation à comparaître devant les tribunaux. Il traite 100 000 plaintes chaque année, essentiellement en matière de recrutement et de harcèlement sexuel. 50% des cas sont résolus par une conciliation, et une partie des autres donne lieu à des procès devant les cours fédérales. Le plus souvent, il s’agit d’actions collectives en réponse à des discriminations systémiques. Le plus intéressant, c’est que pour mettre en évidence ces discriminations, les statistiques ethno-raciales sont indispensables. Même dans le cas des discriminations individuelles, elles permettent de montrer par exemple des écarts entre les profils des personnes qui ont candidaté pour un poste, et de celles qui ont été retenues in fine. Des tests statistiques sont même effectués afin de savoir si la différence est significative ou due au hasard. L’action du bureau peut également se solder pour des injonctions de formation auprès des entreprises. En matière d’ « affirmative action », les entreprises de niveau fédérales ont l’obligation d’adopter un plan d’actions, qui est seulement recommandé pour les entreprises locales.
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Visite ensuite de Masjid Muhammad, la première de Washington, fondée il y a 80 ans, et dont Malcom X fut l’un des leader, suivi de Mohamed Ali. Première surprise : les drapeaux américains et de la ville flottent sur le fronton de l’édifice. Nous avons pu assister à une partie du prêche, et avons rencontré Talib Shareef. Un homme de paix, ouvert à l’autre et au dialogue, qui considère que les passages violents du Coran sont contextuels, et n’ont donc pas valeur de principes intangibles, à la différence des passages qui interdisent de tuer d’autres êtres humains. Pour cet imam, nous sommes tous égaux car nous sommes tous « des enfants de Dieu ». Fidèle à mes valeurs, je lui ai demandé s’il considérait, à l’instar de Tareq Oubrou, que les femmes étaient l’égal des hommes et que les homosexuels pouvaient être de bons musulmans. Sur l’égalité intrinsèque des femmes et des hommes dans le Coran, il y souscrit totalement. Sur l’homosexualité, c’est un peu moins évident : pour lui ce sont les actes qui sont condamnables, pas les individus. Work on progress 😉 Chose impensable en France et qui serait pourtant bien utile, cette mosquée a obtenu 500 000 dollars du département de la sécurité intérieure de l’Etat fédéral pour un programme de lutte contre la radicalisation visant à éduquer les jeunes musulmans à la paix, aux valeurs positives de l’islam, et aux dangers d’internet.

Cette rencontre a été possible grâce au Conseil des affaires publiques musulmanes, un « advocacy » qui défend les droits des musulmans, qui est exclusivement financé par les dons des américains, et qui nous a ensuite reçus. A la fois chercheurs en sciences sociales et militants, ils ont par exemple réussi à stopper une programme de « prévention » du FBI qui entretenait la confusion entre musulmans et terroristes… Ils nous ont fait remarquer que pendant la présidence Obama aucun document fédéral ne parlait d’extrémisme islamique, mais d’extrémisme violent. Dans ce domaine, le choix des mots est primordial, pour ne pas stigmatiser une communauté en particulier, ce qui renforce le problème au lieu de le combattre… Autre élément important pour comprendre ce qui se passe aux Etats-Unis les afro-américains sont plus connectés avec l’islam au que les « blancs », par le biais des descendants d’esclaves musulmans, mais également des conversions, très nombreuses en prison, où les afro-américains sont sur-représentés. La question religieuse rejoint la question raciale, dans un contexte où les mosquées sont attaquées aux 4 coins du pays depuis l’élection de D. Trump. Des Sikhs ont même été assassinés par des personnes qui pensaient qu’ils étaient musulmans… A méditer pour nous, français, alors que l’extrême droite n’a jamais été aussi forte.

Pour résumer le système américain de lutte contre les discriminations, en comparaison duquel le nôtre fait pâle figure :
– un ministère de la justice pleinement mobilisé, avec une division des droits civiques, et des procureurs actifs qui portent plainte
– des agences fédérales par situation de discrimination comme l’emploi, ou le logement, qui instruisent les plaintes, proposent des conciliations et peuvent amener les litiges devant le juge fédéral
– des agences au niveau de chaque Etat pour aider les victimes et saisir la justice locale comme la Commission des droits civiques du Maryland
des « avocacy » structurés et efficaces, financés par les dons privés, qui pèsent sur les pouvoirs publics
– des acteurs du culte soutenus dans leurs projets de lutte contre l’extrémisme

Des leçons à tirer pour notre pays qui, comme me le rappelait il y a quelques temps un haut fonctionnaire, vit dans une sorte de déni de sa diversité, et de ses conséquences.

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