Séparés, mais inégaux

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Avec l’ambassadeur de France aux Etats-Unis Gérard Araud

Cette 4ème journée à Washington a fort bien commencé par une réunion avec le Conseiller spécial pour les discriminations et les droits civiques du Ministre de la Justice et sa collaboratrice en charge de la lutte contre les discriminations liées au handicap. D’emblée, Eric W. Treene s’est montré bien plus loquace que ses homologues du ministère des affaires étrangères rencontrés la veille. Cela s’explique certainement par le fait que traditionnellement, le ministère de la justice est bien moins impacté par les changements d’administration, celle-ci étant véritablement indépendante.

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Avec Eric Treene et sa conseillère

Cet homme, qui est à la tête d’une administration qui comporte 350 avocats répartis dans 93 bureaux à travers toute l’Union, nous a présenté en détail l’histoire de la lutte contre les discriminations aux Etats-Unis. Cette lutte a commencé aux Etats-Unis avec le vote du 14ème amendement en 1868 après la guerre de sécession : il garantit l’égal protection à tous, et aucun Etat ne peut discriminer. Mais l’interprétation de la Cour Suprême a longtemps perpétué le principe du « séparate but equal » qui signifiait que la ségrégation raciale ne contrevenait pas à l’égale protection de la loi, du moment que les moyens étaient également répartis. Jusqu’à un revirement de jurisprudence en 1954, où la Cour Suprême a considéré pour la première fois que la ségrégation raciale à l’école était contraire au 14ème amendement.

Roosevelt joua un rôle prépondérant pendant la seconde guerre mondiale en introduisant le principe de non-discrimination raciale pour les entreprises dont le Gouvernement fédéral était client. L’après-guerre a constitué une période propice à l’évolution de la jurisprudence. Il devenait de plus en plus difficile de discriminer les soldats noirs qui s’étaient battus pour les Etats-Unis pendant la guerre. Les américains ont également pris conscience que les crimes nazis qu’ils combattaient étaient basés sur des théories racistes. C’est ce contexte qui a permis la décision de la Cour suprême en 1954, et dans la foulée la création de la division des droits civiques du ministère de la justice par le Congrès.

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Au ministère de la Justice

Avec cette décision, et d’autres qui ont suivi, le secteur public ne pouvait plus discriminer. Mais le secteur privé n’était pas concerné et pouvait continuer à ségréguer. C’est alors que le mouvement pour les droits civiques va s’enclencher, avec Rosa Parks, qui refusa de céder sa place à un blanc dans un bus et donna naissance au mouvement du « Bus boycott ». Les manifestations qui ont suivies, organisées par Martin Luther King, ont également joué un rôle majeur. Dans les années 1960, différentes lois seront adoptées pour interdire les discriminations dans le secteur privé. La Cour Suprême s’appuiera sur le 14ème amendement en 2015 pour reconnaître le mariage homosexuel comme un droit constitutionnel.

La division des droits civiques présente les plaintes d’une ou plusieurs personnes dont les droits ont été bafoués. Elle tente d’organiser des médications et de trouver des accords lorsque c’est possible. Le système fédéral américain interdit seulement 4 types de discrimination en matière civile : la race, le sexe, l’origine nationale et la religion. En matière de logement, le handicap et le statut familial sont également des critères prohibés. Les Etats fédérés ont en général des lois de portée plus large qui incluent l’apparence, l’orientation sexuelle, ou encore l’affiliation politique. Les crimes de haine reprennent les 4 critères fédéraux en y ajoutant le handicap et l’orientation sexuelle.

Le système américain est loin d’être parfait : les critères de discrimination ne sont pas les mêmes en fonction des juridictions, alors qu’en France c’est mieux harmonisé. Le racisme et la ségrégation subsistent, sous certaines formes, en particulier dans les états du sud. Mais il y a une différence de taille avec la France : les discriminations sont poursuivies et condamnées. L’existence d’une division spécialisée au sein du ministère de la justice n’y est certainement pas pour rien.

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Hilary Shelton

La journée s’est poursuivie par une rencontre avec Hilary O. Shelton, le directeur d’une des principales associations de défense des personnes de couleur, la NAACP. Créée en 1909, elle a été fondée et est encore aujourd’hui gérée par des personnes de toutes origines. Eleanore Roosevelt en a été l’un des piliers en tant que membre de son conseil d’administration pendant de nombreuses années. Forte de ses 500 000 adhérents et de ses 2200 bureaux, cette association fait un travail très précieux d’analyse des propositions et des positions de partis politiques et des candidats, afin que les électeurs puissent faire un choix éclairé. Tout en conservant sa neutralité politique, l’association propose des évolutions de la législation auprès des élus, et se fait le relais du mécontentement de ses membres face à certaines décisions, comme récemment le « muslim ban ». Un bel exemple du « lobbying » américain visant à une participation citoyenne la plus large possible et positif pour la démocratie, qui pour la NAACP est « un sport actif : tous les joueurs doivent être sur le terrain, sinon le match est faussé ».

Ensuite, nous avons eu le plaisir de rencontrer le Dr Akbar S. Ahmed, professeur d’études islamiques à l’American University, qui a beaucoup travaillé sur le dialogue inter-religieux, et qui a fait des lettres ouvertes à Donald Trump sa spécialité.

Enfin, j’ai quitté le groupe des visiteurs internationaux en fin d’après-midi pour un entretien en tête à tête avec l’ambassadeur de France à Washington Gérard Araud. L’occasion d’avoir la vision de la société américaine pour un français qui vit sur place. Une heure trente d’échanges passionnants sur la laïcité, les discriminations et la question raciale aux Etats-Unis. Un grand monsieur, ouvert dans sa réflexion, connaissant parfaitement l’histoire de France, qui honore la haute fonction publique, notamment par son franc-parler lors de l’élection de Donald Trump. Maintenant, direction Baltimore!

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